Le protocole de Maputo : Quelles avancées juridiques sur la question des droits des femmes en Afrique ?

Du du 4 au 15 septembre 1995, s’ouvre à Beijing la 4e conférence mondiale sur les femmes marquant ainsi un nouveau tournant dans la lutte pour l'égalité des genres. Les 17 000 présents et 30 000 activistes y ont exprimé leur profond attachement à la promotion et la protection des droits des femmes dans le monde.La Déclaration et le Programme d’action de Beijing qui en ressortent constituent donc une avancée décisive en faveur de l’autonomisation des femmes.

Sur le plan continental, L’Union Africaine a marqué sa volonté de mettre en place un cadre juridique pour la protection des droits de l’Homme. Dans ce sens, elle a adopté des accords, pris de nombreuses mesures et produit des recommandations et des rapports sur cette question. L’ensemble des mesures juridiques prises par l’organisation comprennent la Charte Africaine des Droits de l'Homme et des Peuples adoptée le 27 juin 1981 ; la Convention de l'OUA régissant les aspects propres aux problèmes des réfugiés en Afrique du 10 septembre 1969; la Charte Africaine des Droits et du Bien-être de l'Enfant du 1er juillet 1990 ; et le Protocole sur le Statut de la Cour Africaine de Justice et des Droits de l'Homme adopté le 10 juin 1998. Si certains de ces textes reviennent sur les principes d’égalité et de non-discrimination, jusqu’au début des années 2000, aucun texte spécifique aux droits des femmes n’avait été adopté.

Devant l’activisme des ONG Africaines dont Women in Law and Development in Africa (WILDAF) qui ont appelé à l'élaboration d'un protocole spécifique à la Charte Africaine des Droits de l'Homme et des Peuples pour protéger les droits des femmes, l'Union Africaine a adopté le document final lors du sommet de l'Union Africaine en Juillet 2003.

Un texte ambitieux et révolutionnaire

Le Protocole à la Charte Africaine des Droits de l'Homme et des Peuples relatif aux Droits des femmes en Afrique communément appelé le Protocole de Maputo constitue le principal texte juridique de protection des droits des femmes et des filles adopté en juillet 2003, à l'occasion de la 2e session ordinaire de la Conférence de l'Union Africaine, à Maputo, au Mozambique.

À la lumière de la Convention pour l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes (CEDEF) , il définit tout d’abord « discrimination à l’égard de la femme » comme « toute distinction, exclusion, restriction ou tout traitement différencié fondés sur le sexe, et qui ont pour but ou pour effet de compromettre ou d’interdire la reconnaissance, la jouissance ou l’exercice par les femmes, quelle que soit leur situation matrimoniale, des droits humains et des libertés fondamentales dans tous les domaines de la vie » et « violence à l’égard des femmes » comme « tous actes perpétrés contre les femmes causant ou pouvant causer aux femmes un préjudice ou des souffrances physiques, sexuelles, psychologiques ou économiques, y compris la menace d’entreprendre de tels actes, l’imposition de restrictions ou la privation arbitraire des libertés fondamentales, que ce soit dans la vie privée ou dans la vie publique, en temps de paix, en situation de conflit ou de guerre » .

Ce protocole visant à protéger les femmes de toutes les formes de discrimination en Afrique a été approuvé par la quasi majorité des pays Africains : seuls le Botswana, l’Egypte et le Maroc n’ont ni signé ni ratifié le protocole de Maputo. Quelques pays dont le Burundi, la RCA, le Tchad, l’Erythrée, le Niger, la Somalie, le Sud Soudan et Madagascar n’ont pas encore procédé à la ratification du texte. Et, de nombreux pays ont émis des réserves à l’égard du protocole notamment son article 14 (relatif au droit à la santé et contrôle de la reproduction) et certaines clauses du texte relatives au mariage.

La responsabilité des Etats Africains en matière de protection des droits des femmes

Tout en tenant compte de l’environnement socio-culturel et des réalités propres au continent, les 31 articles du Protocole formulent une série de dispositions (législatives et institutionnelles) dans le but de protéger les droits spécifiques des femmes et des filles en Afrique. L’article 2 appelle d’entrée jeu les Etats Africains à assumer leurs responsabilités en prenant des mesures adéquates pour lutter contre les discriminations. Ceci passe par :

• L’inscription du principe de l’égalité homme-femme dans la loi fondamentale et l’arsenal législatif

• La mise en œuvre des mesures adéquates pour protéger les femmes

• L’intégration des difficultés des femmes dans l’agenda politique

• La prise des mesures coercitives afin de lutter contre les discriminations à l’égard des femmes

• L’assistance aux initiatives en faveur des femmes

La reconnaissance des droits intrinsèquement liés à la femme en tant qu’être humain

Le protocole aborde par la suite la garantie des droits fondamentaux des femmes (au rang desquels se situent le droit à la vie et le droit à l’intégrité) interdisant ainsi toute forme de pratique dégradante. « Toute femme a droit au respect de sa vie, de son intégrité physique et à la sécurité de sa personne. Toutes formes d’exploitation, de punition et de traitement inhumain ou dégradant doivent être interdites.» .Bien plus , il consacre une pléthore de droits notamment les droits civils, politiques, sociaux, économiques et culturels : droit à la sécurité de la personne, l’interdiction de la discrimination, le droit à la justice, le droit de participation aux affaires publiques, le droit à l’éducation, la protection sociale, le travail décent , l’égalité d’accès à l’emploi , le droit à la santé, le droit à la sécurité alimentaire, le droit à un logement adéquat, la justice, le procès équitable et l’égalité devant la loi, le droit à la paix.

Le tabou levé sur des questions sensibles

Les questions hautement sensibles en Afrique telles que les droits des femmes dans le mariage, la gestion des enfants en cas de divorce, la propriété des biens ou encore la santé reproductive sont explicitement soulevées par le Protocole. En effet, les articles 6 et 7 prévoient des droits égaux dans le mariage et la sauvegarde des intérêts de la famille. Ces deux articles constituent dans ce sens une avancée notoire par rapport au droit appliqué dans certains Etats Africains.

Le Protocole de Maputo consacre également des articles aux femmes dans les conflits armés (Article 11), aux veuves (Article 20) et inclut une protection spécifique aux femmes les plus âgées (Article 22), handicapées (Article 23) et vivant dans la détresse (Article 24). Il condamne fermement les pratiques traditionnelles néfastes telles que les Mutilations Génitales Féminines et les mariages précoces et forcés.

Découlant de l’urgente nécessité de remédier à l’inadéquate protection des droits des femmes en Afrique, ce protocole est considéré comme l’avancée la plus significative en matière de droits reproductifs de la femme. Les droits liés à la santé sexuelle et reproductive doivent donc être reconnus et protégés. Ces droits comprennent le droit d’exercice du contrôle sur leur fécondité; le droit de décider de leur maternité et la gestion de celle-ci, l’éducation sur la question de planification familiale, le droit de décider du nombre d’enfants et de l’espacement des naissances et des moyens de contraception. Le Protocole interpelle sur le libre-choix des méthodes contraceptives et la bonne information. Par conséquent, les Etats Africains ont l’obligation de faciliter l’accès des femmes aux soins de santé (via des infrastructures adéquates) et les accompagner dans les périodes de grossesse, accouchement et allaitement. La Charte met également fin au débat houleux sur l’avortement en invitant les Etats à l’autoriser en cas de :

• agression sexuelle,

• viol,

• inceste,

• grossesse mettant en danger la santé de la mère, sa vie ou celle du fœtus.

Somme toute, si le Protocole de Maputo représente l’avancée la plus significative en matière de protection des droits des femmes, son application sur le terrain demeure très controversée et soumise à la pression de clivages sociaux profonds qui désavantagent les femmes en Afrique.


References :

 UN Women, The Beijing Platform for Action Turns 20 available here Le Programme d’action de Beijing : inspirations d’hier et d’aujourd’hui | ONU Femmes

 ONU Femmes, Déclaration et Programme d’action de Beijing, United Nations 1995. All rights reserved. Reprinted by UN Women in 2014, disponible via ce le lien

://httpswww.unwomen.org/sites/default/files/Headquarters/Attachments/Sections/CSW/BPA_F_Final_WEB.pdf

Union Africaine, Protocole à la Charte africaine des droits de l’homme et des peuples relatif aux droits des femmes en Afrique, Juillet 2003, disponible via ce lien

https://au.int/fr/treaties/protocole-la-charte-africaine-des-droits-de-lhomme-et-des-peuples-relatif-aux-droits-des-femmes-en-afrique


À propos de l’auteure :

Jennifer NDZANA ELOUNDOU a été sélectionnée pour faire partie de notre programme #Women4Leadership. Elle est titulaire d’un Master in Global Affairs obtenu à l’Université Mohammed VI Polytechnique-Maroc. Son parcours a toujours été centré sur une approche globale des problématiques liées au Droit et Relations Internationales. L’ensemble de ses expériences professionnelles lui permettent d’acquérir de solides compétences en communication, management de projets et Relations Publiques. Elle s’intéresse aux droits des femmes et à la participation des jeunes aux processus de prise de décision.

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