Interview Bintou Mariam Traoré

Version française 

Interview BINTOU MARIAM 

Tous les ans, à la date du 8 mars, nous célébrons la Journée internationale des Droits des femmes. Cette journée de rassemblements autour de la cause féministe à travers le monde est l'occasion donnée de faire un bilan sur la situation des femmes : il s’agit de célébrer les victoires et les acquis et , exposer les obstacles persistants. L’édition 2023 se déroule sous le thème « Pour un monde digital inclusif : innovation et technologies pour l’égalité des sexes ».

Politics4Her s’en va à la rencontre de Bintou Mariam Traoré, une militante féministe africaine. Originaire de la Côte d’Ivoire, Bintou Mariam est une journaliste, membre fondatrice de la Ligue ivoirienne des droits des femmes et  féministe à l’origine de l’hashtag #VraieFemmeAfricaine. 

L’entrevue a été réalisée par Jennifer NDZANA ELOUNDOU. 

Qui est Bintou Mariam ? 

Bintou Mariam est une féministe engagée radicale  et co-fondatrice de la ligue ivoirienne des droits des femmes. Je  m’identifie fortement au féminisme 2.0 car j’utilise les Nouvelles Technologies de l’Information et de la Communication/ l’outil digital pour militer et faire entendre la voix des femmes. Mon champ d’action couvre le continent africain plus précisément  la zone francophone. 

Il est généralement connu que toute personne a une histoire personnelle qui la motive à devenir  le changement qu’elle veut pour sa société en posant des actes concrets. Dans votre cas, quel a été l’élément déclencheur de votre engagement pour la cause féministe ?

Je dirai que mon engagement est né d’une succession de plusieurs événements au cours de mon parcours . J’ai pu être témoin des injustices et du mépris à l’égard des femmes. Je me rappelle qu’au lycée une de mes camarades ayant été victime de violences sexuelles se faisait à chaque fois humiliée au sein de l’établissement. J’ai été aussi inspirée par le livre Une si longue lettre de Mariama Bâ, une livre poignant qui retrace la condition de la femme au Sénégal. J’ai donc toujours ressenti ce besoin profond de militer pour la cause féminine surtout que je pouvais lire de la réticence et de la peur chez certaines femmes. 

Le Protocole à la Charte Africaine des Droits de l'homme et des Peuples relatif aux Droits de la Femme en Afrique (Protocole de Maputo) est le principal instrument juridique de protection des droits des femmes et des filles. 18 ans après son entrée en vigueur, quel bilan faites-vous de l’évolution des droits des femmes en Afrique de manière générale?

De manière générale, je dirai que la condition des femmes s’est nettement améliorée en Afrique. Il est indéniable que le Protocole  de Maputo a été un élément déclencheur . On a eu également des avancées dans plusieurs pays dont la criminalisation des actes de viol et de pédophilie au Sénégal , la loi sur  l’avortement au Bénin , l’inscription du principe égalité homme-femme dans la loi fondamentale dans plusieurs pays, l’introduction de quotas de représentation pour promouvoir une meilleure représentation des femmes en politique. 

Malheureusement, je déplore encore l’absence de loi sur l’excision. Que font  aujourd’hui certains États pour interdire cette pratique et adopter les sanctions qui vont avec ? À ceci s’ajoute le fait que de nombreux pays africains peinent encore  à appliquer les lois qu’ils ont eux-mêmes adoptées. 

Quels sont les principaux progrès (sur le plan juridique et dans la pratique) qui ont été faits dans votre pays la Côte d’Ivoire ?

La  Côte d’Ivoire a fait des progrès sur le plan juridique . La loi n° 2016-886 du 08 novembre 2016 portant Constitution de la République de la Côte d’Ivoire reconnait les droits, les libertés et les devoirs de chaque citoyen  femme / homme,exprimant ainsi  la volonté du gouvernement à lutter contre les discriminations basées sur le genre. La loi sur le mariage révisée en octobre 2012 institue l’égalité entre les époux dans le mariage.Le code de la nationalité a également été révisé en Août 2013 pour permettre à la femme ivoirienne de transmettre au même titre que l’homme ivoirien, sa nationalité à son conjoint étranger.

La Ligue Ivoirienne des droits des femmes fait aujourd’hui un travail remarquable en matière de protection des droits des femmes. Nous avons enregistré à peu près 500 cas de femmes victimes de violences. Malheureusement , au niveau juridique, elles font face à de nombreux problèmes dont la lenteur des procédures judiciaires (parfois des dossiers peuvent attendre deux ans).

Que pensez-vous du féminisme africain ? Et quel est le niveau de sensibilisation des femmes africaines sur cette question ?

Le féminisme africain est très discuté aujourd’hui. Faut-il se revendiquer féministe et africaine ? Cette question est l’objet de beaucoup de débats. Pour moi , le féminisme africain existe , il est légitime et ancré dans notre histoire. On a des exemples dans l’histoire de  féministes africaines et d' organisations qui ont toujours combattu pour la cause des femmes. Et, en tant que femmes africaines, nous devons adhérer au féminisme. Il n’y a pas de mal à être féministe aujourd’hui ! Toutefois il est important de souligner que le féminisme africain est en pleine construction et chacune de nous devrait apporter sa pierre à l’édifice.

Quel rôle jouent aujourd’hui les organisations féministes dans l’amélioration de la condition des femmes africaines ?

Les  organisations féministes sont aujourd’hui d’une importance capitale.On les voit collaborer avec d’autres associations pour défendre la cause des femmes et organiser des activités. Leur mérite repose aussi dans leur capacité à oser : ces organisations ont le courage aujourd’hui de soulever les questions tabous , interpeller et dénoncer de façon crue et franche les travers de la société . Elles arrivent aujourd’hui au travers de leur activisme à faire bouger l’Afrique. 

En 2020, vous lancez  l’hashtag #VraieFemmeAfricaine. Quel est selon vous l’importance des réseaux sociaux pour le combat féministe ?

 Il est indéniable qu’aujourd’hui les réseaux sociaux permettent de  s'ouvrir sur le monde et de diffuser rapidement des informations. Il n’y a donc aucune raison de ne pas les utiliser pour défendre la cause des femmes en Afrique. Raison pour laquelle je me considère comme une féministe 2.0 . Avec les réseaux sociaux , je peux aisément m’exprimer sur le féminisme en Afrique et me faire entendre sur tout le continent et même au-delà . L’activisme en ligne est très important car les réseaux sociaux nous permettent de partager,  discuter et contrecarrer l’action des misogynes et sexistes qui s’y cachent. Les féministes africaines doivent donc continuer de communiquer via les réseaux sociaux qui constituent notre espace digital privilégié. Bien évidemment, il faut aussi joindre ceci à l’activisme de terrain. 

Quels sont les principaux obstacles aux droits des femmes en Afrique ?

 Le principal problème que rencontrent les  droits des femmes en Afrique est la mauvaise foi. Lorsque le sujet est mis sur la table des discussions, il est généralement détourné à des fins malsaines nous éloignant des problématiques réelles et actuelles. Deuxièmement, l’image de la femme africaine est encore bourrée de stéréotypes . La femme dans certaines cultures reste sous estimée vivant sous le poids du patriarcat et des partiques culturelles néfastes dont les Mutilations Génitales Féminines, les mariages précores et forcés, le gavage traditionnel etc. 

Bien plus, les femmes continuent d'être victimes de violences de tout type. Dans les cas de viol par exemple, notamment dans les zones rurales, au-delà de la violence sexuelle,  la femme est victime aussi de violence psychologique qui se traduit généralement par l’humiliation et la pression de pardonner à son bourreau pour sauvegarder l’honneur de la famille. Je ne suis pas contre le pardon mais il doit être l’initiative de la victime sans aucune pression extérieure. 

Au vu de ces obstacles, quelles recommandations pouvez-vous formuler pour lutter contre les inégalités de genres et accélérer l’autonomisation des femmes en Afrique ?

Nos États doivent prendre leurs responsabilités dans ce combat . Ceci passe par le respect des engagements pris. Il  est inutile de signer des conventions et ratifier des traités internationaux si ces derniers ne sont nullement appliqués. 

Le pouvoir judiciaire doit pleinement jouer son rôle à savoir contrôler l'application de la loi et réprimer son non-respect. J’insiste vraiment sur la répression comme moyen pour rétablir la justice et permettre aux femmes d’obtenir gain de cause en cas d’abus ou violation de leurs droits. 

Les ministères chargés de la promotion de la femme doivent également jouer pleinement leurs rôles en posant des actes concrets et en collaborant de façon permanente avec les organisations de la société civile présentes sur le terrain sans aucun favoritisme ni discrimination . Changer les choses implique la prise d’initiatives et une implication de tous les acteurs concernés.

Quel est votre conseil à toutes les femmes victimes d’abus et discriminations en Afrique?

 Je suis une survivante comme vous ! En tant que femmes, nous faisons face aux mêmes réalités. Nous devons donc nous battre pour protéger la prochaine génération de ces abus. J’encourage ici toute  femme victime de violence à dénoncer publiquement et porter plainte afin que justice soit faite.

Un dernier mot ? 

J’aimerais vraiment insister sur  la répression. Toutes les personnes rendues coupables de violences faites aux femmes doivent être sévèrement punies par la loi afin que ceci serve de leçon à toute la société. 


English version 

Interview BINTOU MARIAM

Every year, on 8 March, we celebrate International Women's Day. This day of gathering around the feminist cause throughout the world is an opportunity to take stock of the situation of women: to celebrate the victories and achievements and to denounce the persistent obstacles. The theme of the 2023 edition is "DigitALL: Innovation and technology for gender equality "

Politics4her meets Bintou Mariam Traoré, an African feminist activist. Originally from Côte d'Ivoire, Bintou Mariam is a journalist, member of the Ivorian League for Women's Rights and feminist activist who created the hashtag #TrueAfricanWoman.

The interview was conducted by Jennifer NDZANA ELOUNDOU.

Who is Bintou Mariam?

Bintou Mariam is a committed radical feminist and co-founder of the Ivorian League for Women's Rights. I strongly identify with feminism 2.0 because I use the New Information and Communication Technologies /digital tool to militate and make women's voices heard. My field of action covers the African continent, more precisely the French-speaking area.

It is generally known that each person has a personal story that motivates them to become the change they want for their society by taking concrete actions. In your case, what was the trigger for your commitment to the feminist cause?

I would say that my commitment came about through a series of events in my life. I witnessed injustices and contempt towards women. I remember that in high school, a classmate of mine who had been sexually abused was humiliated every time she was in school. I was also inspired by the book  So Long A letter by Mariama Bâ, a powerful book about the condition of women in Senegal. I have always felt a deep need to advocate for women, especially as I have seen the reluctance and fears of some women.

The Protocol to the African Charter on Human and Peoples' Rights on the Rights of Women in Africa (Maputo Protocol) is the main legal instrument for the protection of the rights of women and girls in Africa. 18 years after its entry into force, what is your assessment of the evolution of women's rights in Africa in general?

In general, I would say that the status of women has improved considerably in Africa. The Maputo Protocol was a trigger. There have also been advances in several countries, such as the criminalisation of acts of rape and paedophilia in Senegal, for example, the law on abortion in Benin, the inclusion of the principle of gender equality in the fundamental law of several countries, the introduction of representation quotas to promote better representation of women in politics. But I still deplore the absence of a law on excision. What are some countries doing today to prohibit this practice and adopt the related sanctions? In addition, many African countries are still struggling to implement the laws they themselves have adopted.

What are the main advances (in law and in practice) made in your country, Côte d'Ivoire?

Côte d'Ivoire has made progress on the legal framework. Law No. 2016-886 of 08 November 2016 on the Constitution of the Republic of Côte d'Ivoire recognises the rights, freedoms and duties of every citizen, thus expressing the government's will to fight against gender-based discrimination. The marriage law, revised in October 2012, institutes equality between spouses in marriage, and the nationality code was also revised in August 2013 to allow Ivorian women to pass on their nationality to their foreign spouses in the same way as Ivorian men.

The Ivorian League for Women's Rights is now doing remarkable work to protect women's rights. We have recorded about 500 cases of women victims of violence. Unfortunately, from a legal point of view, they encounter many problems, notably the slowness of legal proceedings (cases can sometimes wait two years).

What do you think about African feminism? And what is the level of awareness of African women on this issue?

African feminism is the topic of much discussion today. Could someone claim to be an African and feminist? This question is the subject of much debate. For me, African feminism exists, it is legitimate and rooted in our history. We have examples in history of African feminists and organisations that have always fought for the cause of women. And, as African women, we must embrace feminism. There is nothing wrong with being a feminist today! However, it is important to stress that African feminism is still under construction and that each of us must make our own contribution.

What role do feminist organisations play today in improving the condition of African women?

Women's organisations are of paramount importance today and we see them collaborating with other associations to defend the cause of women and organise activities. Their merit also lies in their capacity to dare: these organisations now have the courage to raise taboo issues, to challenge and denounce the shortcomings of society in a rigorous and diligent manner. Through their activism, they succeed in making Africa move.

In 2020, you launched the hashtag #TrueAfricanWoman. How important do you think social networks are for the feminist struggle?

It is undeniable that today social networks allow us to open up to the world and spread information quickly. So there is no reason not to use them to defend the cause of women in Africa. This is why I consider myself a feminist 2.0. Through social media, I can easily speak out on feminism in Africa and be heard across the continent and beyond. Online activism is very important because social media allows us to share, discuss and counter the misogynists and sexists lurking in it. African feminists must therefore continue to communicate via social networks, our preferred digital space. Of course, this must be coupled with activism on the ground.

What are the main obstacles to women's rights in Africa?

The main problem facing women's rights in Africa is bad faith. When the subject is put on the table for discussion, it is usually hijacked for unhealthy purposes that take us away from the real and concrete problems. Secondly, the image of the African woman is still full of stereotypes. In some cultures, women are still undervalued, living under the weight of patriarchy and harmful cultural practices such as female genital mutilation, early and forced marriages, traditional force-feeding, etc.

In addition, women continue to be victims of all kinds of violence. In the case of rape, for example, especially in rural areas, women are victims of psychological violence in addition to sexual violence, which generally takes the form of humiliation and pressure to forgive the perpetrator in order to safeguard the family's honour. I am not against forgiveness, but it must be on the initiative of the victim without any external pressure.

Faced with these obstacles, what recommendations can you make to fight against gender inequalities and accelerate the empowerment of women in Africa?

Our States must take their responsibilities in this fight. This means respecting the commitments made. There is no advantage in signing conventions and ratifying international treaties if they are not applied.

The judiciary must play its full role in monitoring the application of the law and punishing breaches of law.

 I really insist on repression as a means of restoring justice and enabling women to win their cases when their rights are denied or violated.

Ministries responsible for the advancement of women must also play their full role by taking concrete action and working with civil society organisations on the ground on an ongoing basis, without favouritism or discrimination. Making a difference means taking initiatives and involving all relevant actors.

What advice would you give to all women victims of abuse and discrimination in Africa?

 I am a survivor like you! As women, we face the same realities. We must therefore fight to protect the next generation from these abuses. I encourage all women who are victims of violence to speak out and file a complaint so that justice can be done.

Any last words?

I would really like to emphasise the need for criminal sanctions to be applied to all individuals who commit violence against women. They must be severely punished by the law so that this serves as a lesson to the whole of society.



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